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« Vous devez parler aux personnes qui sont touchées », affirme la sénatrice métisse

Ce qui suit est une republication d’un article qui fait partie de notre magazine: Le Canada au-delà de la COVID. Pour lire l’article dans son contexte original, cliquez ici.

« Vous devez parler aux personnes qui sont touchées », affirme la sénatrice métisse

« Elle m’a regardée et m’a dit : ‘Ils me l’ont fait.’ »

La sénatrice Yvonne Boyer raconte qu’elle venait tout juste d’arriver à l’hôtel lorsque la femme à la réception l’a reconnue comme étant la « sénatrice de la stérilisation ». La femme, raconte Boyer, a été stérilisée sans son consentement alors qu’elle avait seulement 21 ans et après avoir donné naissance à son quatrième enfant.

C’est en 2014 que Boyer commence à s’intéresser au problème de la stérilisation forcée des femmes autochtones, après avoir reçu un appel d’un journaliste en Saskatchewan qui posaient des questions au sujet de deux femmes autochtones qui avaient été stérilisées contre leur gré.

Les idées se sont précipitées dans sa tête.

« J’ai dit : ‘C’est mal. On ne peut pas faire ça. On ne peut tout simplement pas stériliser les gens comme ça. C’est un acte criminel. C’est un acte de violence. C’est une agression. Est-ce que c’est de la négligence médicale? Et qu’en est-il des droits des Autochtones? Et de la loi internationale? Et qu’en est-il de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones?’ »

« Toutes ces solutions et questions juridiques me sont venues en tête. »

Les deux femmes étaient Tracy Bannab et Brenda Pelletier. Boyer mentionne qu’elle insiste pour dire leurs noms parce qu’elle a tellement de respect pour ces deux femmes qui ont été les premières à jeter la lumière sur le problème. Après la publication des histoires de Bannab et Pelletier, d’autres femmes se sont manifestées.

En peu de temps, elles sont passées de deux à onze.

« Elles ont toutes été stérilisées dans le même type de circonstances suspectes que les deux premières : c’était après une césarienne, elles étaient Autochtones et n’avaient pas donné leur consentement, ou elles avaient été forcées à donner leur consentement ou avaient retirer leur consentement. »

« Leurs histoires avaient toutes la même saveur […] et la même angoisse. »

La Région sanitaire de Saskatoon a finalement communiqué avec Boyer pour lui demander d’effectuer un examen externe de la ligature des trompes des femmes autochtones immédiatement après l’accouchement. Selon l’examen,la vie des femmes autochtones « était enchâssée, de façon complexe, dans le contexte historique négatif, et prépondérant, du colonialisme. » L’intérêt du corps médical canadien pour l’eugénique, qui a atteint son sommet dans les années 1930, est aussi responsable de la stérilisation forcée de milliers de personnes, dont un grand nombre de femmes autochtones.

La plupart des femmes interviewées dans le cadre de l’examen mentionnent qu’elles n’avaient pas compris que la ligature des trompes était permanente, et pensaient que le processus pourrait être inversé dans l’avenir.

L’examen externe de Boyer est à la base du recours collectif actuellement en cours, et qui comprend maintenant plus de 100 femmes : dix de l’Alberta, cinq de la Colombie-Britannique, douze du Manitoba, une du Nunavut, quatre de l’Ontario, deux du Québec et 64 de la Saskatchewan.

« Ça se fait encore », […] je peux vous garantir que c’est en train de se faire en ce moment précis. »

Selon la sénatrice, c’est le déséquilibre historique du pouvoir qui permet cela. C’est le même déséquilibre du pouvoir qui a permis au racisme envers les Autochtones de faire sa place dans le secteur de la santé. Elle en a été directement témoin : avant de devenir avocate, et plus tard sénatrice, Boyer était infirmière.

« De nombreuses personnes étaient très racistes au sein du système de soins de santé », se souvient-elle. « Probablement en raison de mon apparence, ils pensaient que j’étais beaucoup comme eux. Les gens me disaient des choses comme : ‘Le problème des Indiens ne sera pas solutionné tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas stérilisé toutes ces femmes’. »

« Vous parlez de mes tantes, de mes sœurs », se disaient Boyer en elle-même.

La colère a grandi chez Boyer en raison du racisme dont elle a été témoin lorsqu’elle était infirmière. C’est ce qui l’a motivée à suivre des classes de droit et, éventuellement, à devenir avocate.

« Je me disais : ‘Je vais soit faire quelque chose par rapport à cela, ou je vais devoir me taire et devenir indifférente’. »

« De façon générale, je n’ai jamais été capable de me taire. »

Maintenant qu’elle est sénatrice, Boyer mentionne que son bureau reçoit régulièrement des appels de personnes ayant fait l’objet de discrimination. Plusieurs communiquent aussi avec elle au sujet de questions liées au consentement.

Récemment, le problème du racisme envers les Autochtones dans le secteur de la santé a fait les manchettes lorsque Joyce Echaquan, femme Atikamekw de 37 ans, a subi les injures du personnel dans un hôpital du Québec alors qu’elle agonisait. Dans l’enregistrement des derniers moments de vie d’Echaquan à l’hôpital, on peut entendre une infirmière dénigrer et déshumaniser ouvertement Echaquan : « Elle est seulement bonne pour le sexe. »

Il ne s’agit pas d’un incident isolé. Dans un rapport récent de la Colombie-Britannique, In Plain Sight, des personnes autochtones mentionnent le racisme et les stéréotypes généralisés et continus lorsqu’ils ont accès aux soins de santé. Environ le quart d’entre eux mentionnent que les travailleurs de la santé présument qu’ils sont sous l’influence de l’alcool ou qu’ils sont toxicomanes, un quart d’entre eux mentionnent toujours être traités en personnes malhonnêtes, et environ 30 pour cent mentionnent ne pas sentir qu’ils peuvent prendre la parole lorsqu’ils sont traités de façon inappropriée.

Il n’est pas surprenant de voir que les personnes autochtones ayant participé au sondage ont eu plus de difficulté à obtenir des soins de santé pendant la pandémie, comparativement à la population générale; par conséquent, elles sont plus susceptibles de se retrouver à l’urgence ou dans un lit d’hôpital. En raison des obstacles importants, les personnes autochtones ont de la difficulté à obtenir des soins lorsqu’elles en ont besoin et, par conséquent, elles ont de moins bons résultats en santé et une espérance de vie réduite.

Ces attitudes racistes envers les personnes autochtones sont endémiques dans le secteur de la santé, précise Boyer. Même si, après le décès d’Echaquan, les décideurs ont demandé d’agir, Boyer se demande si cette tragédie, la plus récente de toutes, va entraîner un changement significatif.

« Il y a beaucoup de manifestation de compassion et de larmes chaque fois que quelque chose arrive », fait remarquer Boyer.

Malheureusement, les quelques actions concrètes qui suivent sont souvent insuffisantes pour amorcer des changements significatifs, souligne-t-elle. Et comme c’est toujours le cas avec les problèmes liés aux personnes autochtones, il n’y a pas suffisamment de consultation auprès de la communauté elle-même.

« Si vous décidez de faire quelque chose, vous devez parler aux personnes touchées », souligne Boyer. Lors de la réunion 2021 des ministres fédéraux, elle a donné le même conseil pour contrer le racisme envers les personnes autochtones dans le secteur de la santé.

Les choses ont bougé depuis le décès d’Echaquan, et c’est quelque chose qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps par rapport à ce problème, précise-t-elle. Toutefois, la sénatrice s’inquiète par rapport à la capacité du secteur de la santé de s’ouvrir au changement transformateur et de l’accueillir, particulièrement quand les attitudes paternalistes dominent la conversation et limitent la capacité des personnes autochtones à se faire entendre.

« C’est toujours la même vieille approche du haut vers le bas : ‘Je sais ce dont vous avez besoin. Je vais vous arranger ça. Je ne vais même pas vous demandez ce qui ne va pas, mais je vais vous arranger ça.’ »

« La même chose est arrivée avec la stérilisation : ‘Je sais que vous avez quatre enfants, et je sais que vous ne devez pas en désirer un cinquième, alors je vais vous arranger ça.’ »

La sénatrice Yvonne Boyer est membre de la Nation métisse de l’Ontario, ses ancêtres étant issus de la Nation métisse de la Saskatchewan et de la rivière Rouge. Ancienne infirmière, elle a pratiqué le droit pendant plus de 20 ans et a publié de nombreux ouvrages sur les thèmes de la santé des Autochtones, et sur les façons dont les droits des Autochtones et le droit des traités chevauchent les enjeux liés à la santé des Premières Nations, des Métis et du peuple inuit. Avant d’être nommée au Sénat du Canada, la sénatrice Boyer a été directrice adjointe du Centre du droit, politique et éthique de la santé, et professeure à temps partiel à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, où elle a aussi complété un doctorat en droit.

Pour en savoir davantage à ce sujet : Un examen indépendant de la discrimination envers les Autochtones au sein du système de soins de santé de la Colombie-Britannique conclut que les personnes autochtones de la C.-B. sont souvent exposées au racisme généralisé, et très souvent cela se traduit en une expérience négative au point d’intervention, en traitement médical partial, en préjudice physique et même en décès. L’examen, intitulé In Plain Sight, a été commandé par le gouvernement, et s’appuie sur le vécu de plus de 9 000 patients aussi bien que travailleurs de la santé autochtones.