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Soins de longue durée : « On sait ce qu’il fallait faire, on ne l’a tout simplement pas fait.

Ce qui suit est une republication d’un article qui fait partie de notre magazine: Le Canada au-delà de la COVID. Pour lire l’article dans son contexte original, cliquez ici.

Au tout début de la pandémie, on a demandé aux Forces armées canadiennes de stabiliser le nombre d’éclosions dans les établissements de soins de longue durée en Ontario et au Québec. Les militaires ont ensuite publié des rapports explosifs détaillants les conditions de vie déplorables. Or, la triste vérité était que ces conditions existaient depuis un bon moment; elles étaient le résultat de décennies de négligence délibérée.

Pat Armstrong, éminente professeure-chercheuse en sociologie à l’Université York, souligne que les chercheurs, les défenseurs des droits des aînés, les travailleurs en soins de longue durée, les syndicats du secteur de la santé et les résidents avaient sonné l’alarme pendant des décennies. Armstrong a été l’une des critiques les plus éminentes des pratiques dans le secteur des soins de longue durée au Canada. En qualité de chercheuse principale dans le cadre du projet international Re imagining Long-term Residential Care: An International Study of Promising Practices, elle a tenté de déterminer comment restructurer les soins de longue durée pour permettre aux résidents non seulement de vivre dans le respect et la dignité mais aussi de s’épanouir.

« On sait ce qu’il fallait faire, on ne l’a tout simplement pas fait », souligne Armstrong.

Le fait que le Canada n’a pas donné suite aux recommandations des experts a entraîné des conséquences tragiques : près de 70 pour cent de tous les décès liés à la COVID-19 au Canada sont dans le secteur des soins de longue durée. Le problème principal hantant ce secteur, selon Armstrong, c’est le manque de personnel. Et cela au moment où les besoins sur le plan clinique, intellectuel et social des résidents augmentent de façon continue. L’âge moyen d’un résident en soins de longue durée est de 85 ans; environ 70 pour cent des résidents affichent un type de démence, et presque tous nécessitent plusieurs soins complexes.

Pour prévenir le déclin de la santé des résidents, la norme de soins minimale recommandée était de quatre heures, plus précisément quatre heures de soins directs par résident, par jour. Des études plus récentes suggèrent que ce chiffre devrait plutôt s’approcher de six heures. Or, au Canada, il faut lutter pour que les provinces prévoient, à la loi, un minimum de quatre heures.

« Je pense vraiment que nous avons besoin d’un nombre minimal d’heures de soins » souligne Armstrong. Et ce doit être des heures travaillées, de heures de soins directs, ajoute Armstrong. Cela ne doit pas comprendre le temps utilisé pour les vacances, les congés parentaux ou le travail administratif.

De nombreuses études indiquent un lien causal très fort entre la dotation en personnel et la qualité des soins, explique-t-elle. Ces études se fondent sur des incidents directement mesurables : transferts de l’hôpital, plaies de lit et chutes, par exemple.

« Et il y a de nombreuses choses que nous ne pouvons pas mesurer et qui sont vraiment importantes », ajoute Armstrong. « Est-ce que les gens qui vivent dans un établissement ressentent de la joie? Ont-ils du plaisir à vivre, le plaisir qui vient des échanges entre humains, des activités partagées, des relations avec les autres? »

« Aucune étude n’a mesuré ces choses. Mais, il est clair que vous ne pouvez pas avoir ces types de relations sociales si vous n’avez pas le temps. Et, si vous n’avez pas le personnel, vous n’avez pas le temps. »

Pendant la pandémie, on a aussi mis en relief les conditions de travail du personnel en soins de longue durée. Il s’agit d’un travail demandant de grandes compétences et qui n’est pas reconnu ni rémunéré adéquatement. En Ontario par exemple, moins de la moitié de personnel sont à temps plein. Partout au Canada, plusieurs travailleurs et travailleuses en soins de longue durée occupent des postes occasionnels et précaires.

« Voilà 20 ans que nous répétons que les conditions de travail sont les conditions de soins », souligne Armstrong. « Vous ne pouvez pas mettre l’accent sur les résidents si vous n’avez pas les conditions pour le faire. »

Les syndicats ont réalisé quelques progrès en obtenant des congés de maladie rémunérés pour les travailleurs, dont plusieurs sont des femmes racialisées. La lutte se poursuit pour obtenir un salaire décent, de meilleurs avantages sociaux et l’accès à un emploi à temps plein.

« De plus en plus, ces endroits sont exploités pour générer des profits au lieu de dire que chaque dollar devrait aller aux soins », précise Armstrong. « On les organise de plus en plus en entreprises au sens plus large, et ce n’est pas seulement dans les établissements à but lucratif. »

Pendant la pandémie, les établissements à but lucratif ont eu non seulement un plus grand nombre d’éclosions, mais ils ont aussi eu un plus grand nombre de décès. Par exemple, des données recueillies en C.-B. depuis mars 2020 indiquent que les établissements privés à but lucratif ont eu le plus grand nombre d’éclosions. Selon l’analyse des données sur les soins de longue durée, faite par le Toronto Star, « le statut à but lucratif a été indéniablement lié aux pires résultats de la pandémie de COVID-19 en Ontario. »

Dans le cadre d’un modèle qui recherche constamment à réduire les coûts et économiser, il n’est pas surprenant de voir le niveau de soins se détériorer. Par conséquent, les déterminants de la santé – la vaste gamme de facteurs personnels, sociaux, économiques et environnementaux qui déterminent la santé de la personne et de la population – sont facilement ignorés.

« Nous savons jusqu’à quel point la nourriture est importante dans le cadre des soins – jusqu’à quel point les vêtements et le lavage de ces derniers sont importants à la dignité de soi – jusqu’à quel point les services d’entretien ménager sont importants pour que les gens demeurent en santé dans ces établissements. « Nous savions que nous devions changer toutes ces choses – ou, du moins, mettre l’accent sur les améliorer – et nous avons fait très peu. On continue d’ignorer la recherche. »

Armstrong souligne que très peu d’entre nous veulent caresser l’idée de vieillir, encore moins l’idée que nous pourrions devoir un jour aller dans un établissement de soins de longue durée. Entre temps, la population canadienne vieillit; selon Statistique Canada, un quart d’entre nous aurons plus de 65 ans en 2030.

Mes amis disent : « Jamais je n’irai dans un de ces endroits! » Et bien, virtuellement, personne ne planifie un séjour dans un établissement de soins de longue durée… bien que nous devrions le faire. »

« Et, si on pensait plutôt qu’il est fort possible qu’on doive aller dans un établissement de soins de longue durée, peut-être investirions-nous davantage dans ce secteur – et je ne veux pas dire financièrement seulement, je parle de bonnes idées – je veux parler de bâtir ces établissements pour que ce soit de véritables endroits de soins et d’empathie. »

Pat Armstrong, PhD, est une éminente professeure-chercheuse en sociologie à l’Université York, et membre de la Société royale du Canada. Elle a été chercheuse principale de l’étude s’échelonnant sur dix ans Re imagining Long-term Residential Care: An International Study of Promising Practices. Armstrong a publié plusieurs livres sur les politiques sociales, les femmes, le travail, et sur le secteur de la santé et des services sociaux, y compris des livres sur les soins de longue durée. Une grande partie de son travail met l’accent sur la relation entre le travail rémunéré et non rémunéré chez les femmes. Armstrong forge souvent des partenariats avec les syndicats et les organismes communautaires dans le cadre de son travail. Elle a aussi été témoin expert dans des dizaines d’affaires présentées devant les tribunaux ou les commissions.

Pour en savoir davantage à ce sujet : Le rapport, Before It’s Too Late: A National Plan for Safe Seniors Care, présente une stratégie équitable et inclusive pour assurer la sécurité des soins aux aînés partout au Canada. Après la pandémie, il sera plus important que jamais de mettre en œuvre un financement à long terme, des normes minimales de dotation, et des mécanismes efficaces de mise en application. Le rapport adopte une approche holistique et intégrée des soins aux aînés avec l’objectif d’améliorer la qualité de vie des aînés.