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Nous avons besoin d’une Nouvelle Entente pour le Canada après la COVID, affirme un éminent économiste

Ce qui suit est une republication d’un article qui fait partie de notre magazine: Le Canada au-delà de la COVID. Pour lire l’article dans son contexte original, cliquez ici.

« Personne n’a dit : ‘On ne peut pas lutter contre les nazis parce que nous avons un budget déficitaire.’ »

Le Canada a été plongé dans la Deuxième Guerre mondiale alors qu’il était encore ravagé par le choc économique causé par la Grande Dépression. Grâce, en partie, aux mesures conçues pour stimuler l’économie, les décennies qui ont suivi ont été marquées par une énorme croissance et prospérité. Jim Stanford, économiste et directeur du Centre for Future Work, croit que nous pouvons tirer d’importantes leçons de la reconstruction d’après-guerre pour relancer l’économie après la COVID.

« C’était une autre époque où nous avons été confrontés à une menace existentielle externe », explique Stanford. « En tant que pays, nous avons mis tout ce que nous pouvions dans cette bataille.»

Outre les investissements substantiels dans les efforts de guerre, le Canada a aussi mis en place des programmes ambitieux de relance économique. Cette période a mis en œuvre plusieurs des mesures d’aide sociale et des filets de sécurité que nous tenons aujourd’hui pour acquis : prestations d’assurance-chômage, assurance santé, assurance-vieillesse et allocations familiales. En plus d’assurer que les familles aient les moyens de mettre de la nourriture sur la table, les mesures de soutien du revenu avaient aussi pour objectif d’aider à éviter un marasme économique d’après-guerre.

« Tout cela faisait partie de la relance économique après la guerre, et nous sommes entrés dans une période de prospérité soutenue et sans précédent pendant trois décennies », souligne Stanford. « Franchement, l’économie n’a jamais si bien été. »

« Un tel potentiel existe maintenant, mais cela va exiger une stratégie délibérée et un leadership dans le secteur public, et beaucoup, beaucoup d’argent. »

Mais ceux et celles qui gardent l’œil fixé sur le déficit ne gaspillent aucune minute pour mettre de l’avant leur programme d’austérité et semer la peur devant la volonté du gouvernement à dépenser pendant la pandémie, souligne Stanford. À la suite du discours du Trône 2020, au moment où la deuxième vague de COVID-19 s’intensifiait, les leaders du Parti conservateur demandaient déjà des réductions draconiennes des dépenses et mettaient en garde les libéraux en disant qu’ils allaient mettre le pays « en faillite ».

« Les personnes désespérées par rapport aux dettes et aux déficits sont demeurées relativement silencieuses pendant les premiers mois de la pandémie », observe Stanford. « C’était plutôt difficile de prendre la parole – pendant que les personnes du Canada avaient peur et étaient reconnaissantes envers le gouvernement qui essayait de les protéger – et dire : ‘Le gouvernement en met trop’. »

« Ils ont gardé le silence pendant quelques mois, mais ça n’a pas duré. » Selon Stanford, les personnes qui déplorent une crise imminente d’endettement ont tout simplement tort. Le pays ne va pas tomber en morceaux. La façon de parler des déficits – particulièrement en temps de crise – est la chose qu’il faut changer.

« Oui, les déficits du gouvernement ont été vraiment importants; c’est parce que le gouvernement a fait son travail. »

Le directeur parlementaire du budget a dit que l’approche actuelle était « viable à long terme ». C’est particulièrement vrai si nous maintenons les taux d’intérêt bas, et Stanford nous rappelle que ces taux sont établis ici au Canada.

« En temps de crise, le gouvernement doit mobiliser les ressources », explique Stanford. « C’est la seule partie de notre économie qui a l’autorité, la capacité financière et la capacité d’agir à l’échelle nationale pour véritablement sauver le pays. »

« Alors, tant mieux si nous avons ces déficits parce que c’est la preuve que le gouvernement a fait ce qu’il devait faire. »

Stanford souligne que cette réponse rapide du gouvernement a été possible grâce aux travailleurs du secteur public. Les travailleurs de la santé ont mis leur propre sécurité à risque pour prendre soin des malades et contrer la pandémie. De la même façon, les enseignants se sont rapidement réoutillés pour offrir un apprentissage en ligne. Et les fonctionnaires ont déployé leurs programmes d’aide en un temps record. Ces nouvelles mesures de soutien, y compris la Prestation canadienne d’urgence, étaient cruciales pour aider les ménages canadiens à garder la tête hors de l’eau et pour alléger l’impact de la pandémie sur notre économie.

L’impact a été plus fort pour certains, y compris les travailleurs à faible revenu et les travailleurs précaires. Ainsi, les personnes racialisées qui « affichent souvent des taux plus élevés de faible revenu et d’emplois précaires que la population blanche », selon Statistique Canada, ont ressenti beaucoup plus l’impact économique.

« Chaque récession est injuste », affirme Stanford. « Chaque récession concentre, de façon inéquitable, les coûts et les conséquences sur un certain groupe de personnes. Mais cette récession est injuste de façon brutale et inexcusable. »

En vérité, les personnes du Canada auront besoin de mesures de soutien du revenu et de mesures de création d’emplois pendant les années à venir. Le vaccin n’est pas une panacée qui va magiquement ramener notre économie à ce qu’elle était avant la pandémie. Pendant que nous déployons des efforts pour assurer une reprise économique saine, ces efforts de reconstruction doivent mettre l’accent sur ceux et celles qui en ont le plus besoin.

« Si nous ne les aidons pas, nous allons voir le gouffre des inégalités s’élargir davantage au Canada », souligne Stanford. « Les conséquences à long terme, notamment économiques, sociales, politiques et sur la santé, seront terribles.

En sus de planifier pour la prochaine pandémie, le Canada a l’occasion de créer une Nouvelle Entente post-pandémie : un ambitieux programme visant le soutien de la classe ouvrière, l’amélioration des soins de santé et la promotion d’une plus grande équité. Cela pourrait comprendre un certain nombre d’initiatives politiques ambitieuses, par exemple un programme national de garderie, un régime universel d’assurance-médicaments, des réformes fondamentales des soins de longue durée, des solutions à la pénurie de personnel infirmier, l’amélioration de l’accès aux services de santé mentale, et des mesures pour diminuer les disparités en santé et les iniquités sociales.

La COVID-19 a, à la fois, amplifié et mis au jour de nombreuses lacunes dans notre société, et ces lacunes menacent la reprise économique.

Au moment d’écrire ces lignes, nous ne savons pas encore si une élection fédérale sera déclenchée cette année. Le jour où il faudra nous rendre aux urnes, mentionne Stanford, les personnes du Canada devront décider pour elles-mêmes ce qui est le plus important : des idées abstraites ou de véritables mesures de soutien là où elles sont nécessaires.

Nous devrions demander concrètement,

‘Qu’est-ce qui est le plus important pour vous : avoir un soutien du revenu lorsque vous perdez votre emploi en raison de la pandémie? Avoir accès à des services publics de santé de grande qualité vous permettant d’être vaccinés? Ou des idées abstraites selon lesquelles nous devrions maintenir le ratio dette-PIB sous les 60 pour cent?

Vu sous cet angle, précise Stanford, nous pouvons tenir la conversation loin des arguments ambigus au sujet de la dette nationale, qui ne sont rien de plus que des tentatives voilées pour diminuer la taille du problème plutôt que de s’appuyer sur un raisonnement intelligent par rapport à l’économie. Plus que jamais auparavant, nous devons concentrer la conversation sur le rôle irremplaçable du gouvernement pour protéger la population canadienne et l’aider à se sortir relativement indemne de la pandémie.

Jim Stanford, PhD, est économiste et directeur du Centre for Future Work. Un des économistes les mieux connus au Canada, Stanford a été, pendant plus de 20 ans, économiste et directeur des politiques au sein du syndicat Unifor. Il est titulaire d’un doctorat en économie de la New School for Social Research de New York, et d’un baccalauréat en économie de l’Université Cambridge. Il est professeur d’économie à l’Univer-sité McMaster, et professeur honoraire à l’Université de Sydney. Stanford a rédigé, édité et coédité de nombreux livres, articles et rapports, et il a agi comme conseiller auprès des gouvernements sur des questions d’économie, de politiques sociales, d’emploi et d’innovation. Stanford a le talent de communiquer les concepts d’économie de manière accessible et humoristique.