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« Ce n’est pas parce que vous êtes Noir que la COVID vous aime davantage »

Ce qui suit est une republication d’un article qui fait partie de notre magazine: Le Canada au-delà de la COVID. Pour lire l’article dans son contexte original, cliquez ici.

Ce moment a été une révélation. »

C’est pendant un exposé sur les impacts de la racialisation que Nicole Welch, chef de direction des soins infirmiers au sein de la santé publique de Toronto, a pris conscience des répercussions pernicieuses et profondes du racisme systémique dans le secteur de la santé.

« [L’exposé] parlait de l’impact et de l’effet ravageur, notamment la lente dégradation de notre santé et de notre mieux-être », explique Welch.

« En raison de l’expérience du racisme, nous sommes toujours en réaction de lutte ou de fuite… une réaction intensifiée. »

C’est le vécu des personnes dans les collectivités opprimées. On y fait généralement référence en parlant de « stress des minorités » : les personnes qui appartiennent aux collectivités en quête d’équité ressentent des niveaux plus élevés de stress au sein d’une société où ils sont régulièrement victimes de discrimination et de préjugés. Ce niveau de base plus élevé a non seulement des incidences sur la santé mentale mais contribue aussi à de moins bons résultats en santé, et à des maladies chroniques, par exemple haute tension artérielle et diabète.

« Cela m’a bouleversée », se souvient Welch. Elle a réfléchi à son propre niveau plus élevé de stress et au fait que, chaque jour, elle envoyait ses deux enfants de race noire à l’école en se demandant si ‘aujourd’hui serait le jour’. »

« Est-ce aujourd’hui le jour où je vais recevoir cet appel me disant qu’ils ne sont pas traités de façon égale? »

Welch précise que bien qu’elle endosse ce stress supplémentaire à chaque jour, elle n’a pas encore reconnu consciemment son impact parce que, c’est triste à dire, cela fait partie du vécu quotidien des personnes noires.

Pendant la pandémie, notre niveau collectif de stress a augmenté. Et, pour certaines personnes racialisées, se retrouver dans des endroits publics est devenu encore plus angoissant car le nombre de crimes haineux et de gestes manifestes de racisme ont augmenté. Selon le Conseil national des Canadiens chinois (division de Toronto), organisme qui recueille les rapports sur le racisme envers les Asiatiques partout au Canada, il y a eu 1 150 incidents de la sorte au cours de la première année de la pandémie. Les trois quarts étaient des attaques verbales, mais plusieurs agressions physiques ont aussi été documentées.

Le stress des minorités n’est qu’un des facteurs qui contribue aux disparités en matière de santé au sein des collectivités racialisées. Ces disparités existaient avant la pandémie, mais la pandémie les a mis davantage en relief. À Toronto, les quartiers noirs ont été particulièrement touchés par la COVID-19.

« Ce n’est pas parce que vous êtes Noir que la COVID vous aime davantage », souligne Welch. Le racisme systémique, explique-t-elle, met les personnes racialisées à part et les exile dans des endroits particuliers.

« Certains endroits – certains emplois – sont pour vous. Ils vivent dans des collectivités qui sont plus densément peuplées. En raison du manque d’opportunités – dû au racisme – vous ne pouvez obtenir les emplois que vous voulez. »

Welch cite les études de Philip Oreopoulos, professeur d’économie et de politiques publiques à l’Université de Toronto. En 2009, et de nouveau en 2012, Oreopoulos a envoyé des milliers de curriculum vitae, rédigés de façon aléatoire, à des agences de recrutement des plus grandes villes du Canada. Les deux fois, les résultats démontrent qu’il y a des « différences substantielles » dans le taux de convocation à une entrevue simplement en changeant le nom de la personne faisant la demande d’emploi. Les études d’Oreopoulos indiquent que les candidats ayant un nom de consonnance anglaise avaient 35 pour cent plus de chances d’être convoqués en entrevue que les candidats avec un nom indien ou chinois. Une étude similaire, menée aux États-Unis, indique que les candidats ayant des noms de consonnance blanche avaient 50 pour cent plus de chances d’être convoqués en entrevue que les candidats dont le nom était de consonnance africaine-américaine.

Ce n’est qu’un exemple démontrant comment les préjugés implicites ou inconscients peuvent désavantager les personnes noires, autochtones ou de couleur. Bien que les conversations autour du ra-

cisme mettent souvent l’accent sur les actes manifestes, par exemple les crimes haineux et les propos racistes, des études comme celles-là font la lumière sur une forme plus subtile de racisme qui est tout aussi dangereuse car elle nuit à la mobilité sociale ascendante et contribue aux disparités en matière de santé.

« Nous savons que, lors de toute pandémie, les personnes au bas de l’échelle socioéconomique seront les premières à subir l’impact », souligne Welch. « Dans notre société, où le racisme est présent, ce sera les personnes noires, autochtones et de couleur. »

Dans une société où il y a davantage d’égalité sur le plan social, explique Welch, nous observerions encore les répercussions de la pandémie sur les personnes pauvres et les personnes de la classe ouvrière. Toutefois, ces répercussions n’affecteraient pas de façon disproportionnée un groupe racialisé en particulier.

Lorsque Statistique Canada a analysé une année de données sur la COVID-19, ils ont pu observer que, dans les zones où 25 pour cent ou plus de la population était composée de « groupes désignés minorités visibles », le taux de mortalité était en moyenne de 35 décès par 100 000. Dans les zones où les personnes racialisées représentaient moins d’un (1) pour cent de la population, ce taux a chuté à 16 décès par 100 000. À Toronto, les données sont encore plus frappantes. En novembre 2020, les personnes racialisées représentaient 79 pour cent de tous les cas de COVID-19 dans la ville.

Pour diminuer les répercussions de la COVID-19 sur les collectivités racialisées, il faut agir immédiatement. À long terme, ajoute Welch, cibler les causes profondes signifie décoloniser nos institutions et s’attaquer au racisme systémique qui les infiltre. Nous ne pouvons tout simplement pas éliminer les inégalités sans s’attaquer aux systèmes et aux structures qui les renforcent.

Parce que ces populations ont été particulièrement touchées, il est crucial de les vacciner. Les fonctionnaires de la santé publique ont du pain sur la planche : ils doivent partager les informations fondées sur les données probantes avec les collectivités racialisées dans l’espoir de diminuer leur hésitation à se faire vacciner, et ils doivent le faire en sachant très bien qu’ils travaillent au sein d’un système de soins de santé qui a trop souvent victimisé ces personnes, et au sein duquel elles se sont rarement senties bienvenues ou écoutées.

Welch cite le cas tragique de Joyce Echaquan, une femme Atikamekw de 37 ans, qui a fait l’objet d’injures racistes de la part du personnel de la santé alors qu’elle agonisait dans un hôpital du Québec. Et, l’an dernier, la Colombie-Britannique a mené une enquête à la suite d’allégations selon lesquelles le personnel au service d’urgence aurait pris part à un jeu consistant à deviner le niveau d’alcool dans le sang des patients autochtones. Bien que l’enquête n’ait pas réussi à confirmer l’existence de ce jeu, elle a toutefois découvert la présence généralisée de racisme systémique. Les patients autochtones mentionnent faire l’objet de présomptions négatives fondées sur les préjugés et les attitudes racistes.

La santé et le mieux-être des patients de race noire sont aussi compromis par les préjugés implicites dans le secteur de la santé. En guise d’exemple, Welch fait référence à des études américaines sur la façon dont on évalue et traite la douleur chez les patients de race noire. Selon une étude menée en 2019 sur le traitement de la douleur chronique dans les urgences des États-Unis, les patients de race noire étaient 40 pour cent moins susceptibles de recevoir des médicaments pour la douleur, comparativement aux patients de race blanche, et 34 pour cent moins susceptibles de se faire prescrire des opioïdes. Selon une étude de 2016 sur les préjugés raciaux par rapport à l’évaluation et au traitement de la douleur, la moitié des étudiants de première et deuxième année de médecine entretenaient de fausses croyances par rapport aux différences biologiques entre les personnes de race blanche et de race noire, y compris la notion selon laquelle les personnes de race noire pouvaient mieux tolérer la douleur que les personnes de race blanche. Les étudiants qui entretenaient ces fausses croyances évaluaient à la baisse la douleur des patients de race noire et, par conséquent, faisaient des recommandations de traitement moins adéquates.

Et il n’y a pas si longtemps, on utilisait des personnes noires et autochtones pour mener des expériences médicales. Entre 1942 et 1952, les enfants des Premières Nations dans six pensionnats sont devenus, à leur insu, des sujets dans une étude sur la nutrition. Malnutris, ces enfants se sont vu refuser une alimentation adéquate. L’étude s’est poursuivie même si des enfants sont morts.

De 1932 à 1972, le Service de santé publique des États-Unis a recruté des centaines d’hommes de race noire pour une étude dans laquelle leur syphilis a été intentionnellement non traitée afin d’étudier les effets de la maladie. On a menti aux participants : on leur a dit qu’ils recevaient le traitement médical adéquat. Aujourd’hui cette étude, la Tuskegee Study of Untreated Syphilis in the African American Male, est souvent citée dans la communauté médicale comme exemple de racisme tellement ancré profondément que même le serment d’Hippocrate n’a pas pu en venir à bout.

Ces préjudices historiques ont contribué au manque de confiance des personnes noires, autochtones et de couleur envers la communauté médicale. Il faudra du temps et des efforts concertés pour faire renaître la confiance. Pendant que nous luttons pour éliminer le racisme systémique dans le secteur de la santé, nous devons aussi créer des espaces plus accueillants où les personnes de tout groupe en quête d’équité puissent sentir qu’elles ont de la valeur, et puissent se sentir visibles, écoutées et incluses.

Trop souvent, il appartient aux personnes mêmes qui ont été opprimées d’attirer l’attention sur les problèmes d’iniquité et de discrimination. Les personnes appartenant à des groupes en quête d’équité ont besoin d’alliés – de personnes en position de privilège (eh oui, cela signifie des personnes de race blanche) – qui prendront le relais. Cela signifie dénoncer les pratiques racistes et discriminatoires, examiner ses propres croyances et comment ces idées alimentent les préjugés implicites et le racisme systémique.

« Je suis une personne de race noire. J’ai une maîtrise en sciences infirmières. Chaque fois que je me rends à l’hôpital pour prendre soin d’un membre de la famille – c’est triste – je sens que je dois dire :

‘Voici qui je suis. Je suis infirmière. Je suis haute-ment qualifiée. Je sais ce qui se passe ici’. »

« Je présume déjà qu’il y a potentiel que ce membre de ma famille ne soit pas traité de façon équitable », explique Welch.

« Je ne devais pas avoir ce stress supplémentaire sur les épaules. »

Nicole Welch, IA, est titulaire d’une maîtrise en sciences infirmières de l’Université McGill (2000). Elle a travaillé à l’Hôpital Brampton Memorial et à l’Hôpital Mount Sinai de Toronto. En 2001, elle entre à la santé publique de Toronto où elle occupe présentement les postes de chef de direction des soins infirmiers et directrice de Liaison COVID-19. Welch se passionne des enjeux liés à l’équité et à la justice sociale dans le secteur de la santé, ainsi que du développement et du maintien de collectivités saines. Animée par sa passion pour l’éducation continue, elle complète présentement les dernières étapes d’un doctorat en psychologie appliquée et développement de la personne à l’Institute for Studies in Education de l’Université de Toronto.

Pour en savoir davantage à ce sujet : la Trousse à outils sur l’équité de la FCSII offre des ressources pour aider ses syndicats membres dans leur lutte pour une société plus juste et équitable. La trousse comprend plusieurs documents, y compris foire aux questions (FAQ), introduction à la lentille de l’équité, glossaire sur le langage inclusif, liste de vérification à l’échelle de l’organisation, liste de vérification relative à l’accès à des activités, exemples d’ateliers et de politiques.