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5 avril 2024

Par les infirmières, pour les infirmières : Discussion au sujet de la Boîte à outils pour la rétention des effectifs infirmiers avec la Dre Leigh Chapman, infirmière en chef du Canada

Blogue

Infirmière depuis plus de 20 ans, la Dre Leigh Chapman sait à quel point le travail et le leadership du personnel infirmier sont puissants. Aujourd’hui infirmière en chef du Canada, la Dre Chapman est depuis longtemps une ardente défenseure de la réduction des méfaits et de la justice sociale. Au début de la COVID-19, elle a dirigé avec Inner City Health Associates à Toronto, un nouveau programme de soins infirmiers pour soutenir les personnes en situation d’itinérance. Dans son rôle d’infirmière en chef du Canada, la Dre Chapman n’a pas hésité à s’attaquer à des problèmes pressants pour le personnel infirmier : l’intégration des infirmières et infirmiers formés à l’étranger et la rétention du personnel infirmier figurent en tête de cette liste.

Moins de deux ans après l’annonce de son poste, la Dre Chapman a dirigé la publication de la Boîte à outils pour la rétention des effectifs infirmiers : Améliorer la vie professionnelle du personnel infirmier au Canada. Ressource pratique créée par et pour les infirmières et infirmiers, les initiatives contenues dans la boîte visent à améliorer concrètement la vie professionnelle des infirmières et infirmiers au Canada. La Dre Chapman a collaboré étroitement avec le personnel infirmier pendant le processus de co-développement en organisant des discussions avec les infirmières et infirmiers dans des forums communautaires ou en voyageant à travers le pays pour obtenir un aperçu direct des initiatives de maintien en poste qui pourraient être diffusées et étendues.

L’approche collaborative de la création de la boîte à outils a commencé par la mise sur pied d’un comité consultatif composé de dirigeants clés en soins infirmiers, dont la présidente de la FCSII Linda Silas, la présidente du SIIATNL Yvette Coffey, la présidente du SIIS Tracy Zambory, le président du SIICB Aman Grewal et le président de l’AEIC Eyasu Yakob. Plusieurs séances ont eu lieu avec les membres pendant le congrès biennal de la FCSII à l’Î.-P.-É. avant le Forum sur la rétention des effectifs infirmiers de juin 2023.

La FCSII a rencontré la Dre Chapman pour discuter de cette boîte à outils révolutionnaire et de ce qu’elle signifie pour le personnel infirmier.

L’entrevue suivante a été éditée et condensée pour plus de clarté et pour en réduire la longueur.

 

De quelle façon votre travail avec Inner City Health Associates a-t-il influencé votre approche pour la Boîte à outils pour la rétention des effectifs infirmiers?

Dre Chapman : Ma plus grande leçon à retenir de ce travail avec Inner City Health Associates vient du moment où nous avons dû faire participer les infirmières et infirmiers à l’élaboration d’un modèle de soins et à la mise en place d’un programme sous la contrainte de la première vague de la pandémie. Et le succès de cela, je l’attribue à un processus de co-développement collaboratif.

Si les populations de patients changeaient, ou si les besoins du personnel changeaient, nous nous adaptions. C’était un modèle à très faible barrière. Certes, faible barrière pour les clients, mais aussi faible barrière pour le personnel. Nous tenions régulièrement des assemblées publiques, des tribunes libres, et j’étais très étroitement liée à ceux et celles qui travaillaient au point d’intervention.

Cette expérience a aidé à l’élaboration de la Boîte à outils pour la rétention des effectifs infirmiers. Je savais que cela ne pouvait pas être une initiative du gouvernement du Canada que nous pouvions diffuser à travers le pays. Ça ne marcherait pas, ça ne donnerait rien. La boîte à outils devait refléter ce que j’entendais du personnel infirmier, et je devais le faire participer directement au développement. Je suis vraiment fière que nous ayons pu faire participer le personnel infirmier au co-développement de cette boîte.

 

L’un des principes directeurs de la boîte à outils est d’être « axée sur l’organisation ». Pourquoi cette approche est-elle importante?

Il s’agit d’un changement structurel nécessaire en ce qui concerne la façon dont nous valorisons le travail des infirmières et infirmiers. Il n’est pas question que le personnel infirmier, en tant qu’individu, soit plus engagé dans ses soins personnels. Cela fait partie intégrante d’être un(e) professionnel(le) autorégulé(e). Vous devez prendre soin de vous-même, mettre votre masque à oxygène en premier.

La boîte à outils concerne le changement au niveau du système. Elle vise les changements nécessaires au niveau organisationnel et structurel, et non au niveau de chaque infirmière ou infirmier. Nous avons besoin de ces changements robustes, rigoureux et durables dans notre façon de penser au travail infirmier et dans la façon dont nous valorisons les infirmières et infirmiers en tant que professionnels.

 

Selon vous, comment les initiatives de la boîte à outils influeront-elles sur la vie du personnel infirmier qui travaille à 2 heures du matin?

Sachez que j’ai été là, et que je comprends. J’ai aussi travaillé la nuit, et j’ai de bons et de moins bons souvenirs de ces nuits à 2 heures du matin où il y a une grande solidarité entre tous ceux et celles qui travaillent durant ce quart. J’espère que les infirmières et infirmiers qui voient la boîte à outils se sentent validés, qu’ils ont l’impression que la boîte à outils reflète ce qu’ils voient et vivent chaque jour. J’espère qu’ils estiment que c’est une mesure positive que nous, au nom du gouvernement du Canada et en collaboration avec les infirmières et infirmiers de partout au pays, avons prise pour créer une ressource qui vise vraiment à améliorer les choses.

Même si cela peut sembler très sombre et désespéré à 2 heures du matin pendant un quart de nuit, nous nous dirigeons vers un changement positif et durable dans la profession et la façon dont nous valorisons le travail infirmier. J’espère que les thèmes les interpellent. J’espère qu’ils savent que le gouvernement est un allié. Ils ont de nombreux alliés parmi toutes les infirmières et tous les infirmiers qui participent à ce processus, mais ils peuvent certainement me considérer comme une alliée.

 

En pensant à votre temps en tant qu’infirmière en soins communautaires, quelles initiatives aimeriez-vous le plus voir mises en œuvre?

Pour moi, ce serait l’initiative concernant la charge administrative. Il y a beaucoup de choses que le personnel infirmier fait dans tous les contextes qui sont administratifs. Navigation dans le système, envoi de formulaires par télécopieur, aide à la gestion des dossiers médicaux pour les clients, coordination des soins… des choses plus administratives, plus liées à la navigation qu’aux soins cliniques.

La gouvernance partagée en est une autre, en ce qui concerne la participation des infirmières et infirmiers à la prise de décisions. C’est vraiment essentiel. Certaines organisations la maîtrisent bien, et d’autres ont beaucoup de travail à faire en ce qui a trait à la façon dont elles impliquent les infirmières et les infirmiers dans la prise de décisions d’une manière qui est significative et non symbolique. La boîte à outils permettra de donner une bonne impulsion pour cela.

Toutefois, je pense aussi aux modèles de soins. Nous pouvons apprendre beaucoup des régions rurales et éloignées du Canada et du Nord en ce qui a trait à la façon dont nous pourrions élargir le rôle du personnel infirmier travaillant dans les milieux communautaires afin de réduire le fardeau sur les soins de courte durée. La notion de modèle de soins va également de pair avec cette idée de refonte du système. Nous avons toujours ce fort parti pris pour les soins de courte durée dans le domaine de la santé, et une grande partie de notre financement va aux soins de courte durée. Cependant, les gens n’ont pas non plus accès aux soins primaires, ce qui crée une forte pression sur le système de soins de courte durée. Donc, nous réfléchissons vraiment à la façon dont nous pouvons renverser le système. De plus, les infirmières et infirmiers le savent très bien et doivent participer au changement nécessaire pour mieux servir les personnes au Canada.

 

Comment le leadership inspiré se traduit-il par une meilleure vie professionnelle pour le personnel infirmier?

Les infirmières et infirmiers ont besoin de sentir qu’ils ont le soutien de leurs dirigeants. Nous l’avons entendu haut et fort lors du forum. S’assurer que nous avons des personnes qui prennent soin de nous en tant que travailleurs et travailleuses, qui sont très à l’écoute de nos besoins et à l’écoute de la façon dont nous pouvons concilier vie professionnelle et vie privée – cela renforce beaucoup la confiance.

Veiller aussi à ce que nous encouragions un nouveau leadership. Certaines personnes veulent rester au chevet du patient pendant toute leur carrière, et c’est merveilleux. Nous en avons besoin, mais il y a toutes sortes de parcours que vous pouvez emprunter en soins infirmiers. C’est une profession si large et holistique. Nous devons nous assurer que nous responsabilisons vraiment le personnel infirmier. Les infirmières et infirmiers se sentent souvent sous-estimés et dévalorisés. Il s’agit donc vraiment de les responsabiliser à tous les niveaux. Toutes les infirmières et tous les infirmiers sont des leaders. Le leadership n’est pas nécessairement un rôle ou un titre. C’est aussi la façon dont vous vous présentez chaque jour.

 

Pourquoi est-il important que le personnel infirmier participe à la prise de décisions?

Ce sont les infirmières et infirmiers qui prennent ces décisions de vie ou de mort. Si nous séparons le point d’intervention de la prise de décisions en gestion, nous pourrions prendre des décisions qui ne sont pas sécuritaires pour le fournisseur ou pour le patient.

Cela crée également un sentiment de fierté et d’appartenance. Cela fait partie de la construction d’une culture organisationnelle. Tout le monde doit être engagé et fier non seulement de sa profession mais aussi de son lieu de travail, mais la seule façon d’y parvenir est d’impliquer le personnel dans la prise de décisions.

 

Comment les initiatives de dotation sécuritaire peuvent-elles soutenir les infirmières et infirmiers de première ligne?

Il n’est pas possible pour le personnel infirmier de fournir des soins de qualité lorsqu’il s’occupe de 10, 20, 30 personnes, résidents ou clients à la fois.

Nous devons protéger la relation thérapeutique infirmière-client. C’est vraiment ce à quoi servent les cadres de dotation sécuritaires. Il y a parfois une réaction allergique de la part des dirigeants organisationnels, quand ils disent : « Comment diable pourrions-nous mettre en place des ratios de dotation sécuritaires compte tenu des pénuries, du fait que nous remplissons des postes vacants, et de la situation désespérée de la dotation en personnel? »

Mais quand les ratios ont été introduits en Californie, c’était dans le contexte d’une pénurie de personnel infirmier. Et en fin de compte, si les patients ne reçoivent pas les soins appropriés, ils se retrouvent dans le système à un coût élevé en termes de morbidité et de mortalité, mais aussi de pression sur le système et sur les fournisseurs. Les initiatives de dotation sécuritaire en personnel sont donc vraiment un moyen de valoriser et de protéger cette relation thérapeutique infirmière-client, qui a une énorme valeur symbolique pour les infirmières qui se sentent si dévalorisées.

 

Les initiatives présentées dans la boîte à outils fournissent des approches permettant au personnel infirmier et aux employeurs de travailler ensemble à la mise en œuvre de stratégies. Quel rôle les infirmières et infirmiers peuvent-ils jouer pour introduire des initiatives dans leur milieu de travail?

J’aimerais que le personnel infirmier examine vraiment la boîte à outils et l’utilise à des fins d’analyse comparative. Qu’il l’utilise comme une fiche d’évaluation pour voir comment leur organisation se porte. Que faisons-nous bien dans cette organisation? Que devons-nous améliorer? Cela peut même être fait au niveau de l’unité. C’est là que les infirmières et infirmiers peuvent s’impliquer et faire avancer ces initiatives. J’espère que ceux et celles qui occupent des postes de direction officiels mobilisent également leur personnel infirmier dans la mise en œuvre de la boîte à outils. Ce n’est pas un document statique. Elle doit vraiment prendre vie sur le lieu de travail. Les infirmières et infirmiers ont un rôle clé à jouer pour veiller à ce qu’elle soit adoptée, car c’est vraiment là que nous en tirerons un sens au fur et à mesure qu’elle sera mise en œuvre pour soutenir le maintien en poste des effectifs infirmiers partout au Canada.

 

Quelle est votre vision de l’avenir des soins infirmiers au Canada?

Malgré les temps difficiles que nous traversons actuellement en ce qui concerne la crise de la main-d’œuvre infirmière, ma vision est très encourageante et optimiste. Je suis dans une position très privilégiée compte tenu de mon point de vue pancanadien. Selon moi, l’avenir est en fait très prometteur et optimiste.

Je sais que c’est très sombre et très difficile pour les infirmières et infirmiers dans certains environnements et contextes.

Mais chaque jour, les infirmières et infirmiers font des choses miraculeuses. Vous savez, nous tenons certaines de ces choses pour acquises lorsque les gens reçoivent des soins appropriés pour leurs plaies et qu’ils n’ont pas besoin de prendre des antibiotiques par voie intraveineuse, lorsque les gens ont accès aux soins primaires et que les choses sont détectées tôt, lorsque les femmes accouchent en toute sécurité, ou lorsque les personnes vivent une mort très paisible. Toutes ces choses se produisent tous les jours, et elles sont assez miraculeuses, et souvent les infirmières et infirmiers sont là, impliqués dans leurs soins.

En ce qui concerne ma vision, j’espère que les soins infirmiers deviendront une profession de choix au Canada. Nous sommes fiers de notre système universel de soins de santé. Et les soins infirmiers, en tant que groupe le plus important de professionnels de la santé réglementés, ont un rôle clé à jouer à cet égard. Les soins de santé sont quelque chose que nous tenons pour acquis au Canada, presque comme le sirop d’érable. J’espère que les infirmières et infirmiers se voient dans le tissu même de ce qui fait du Canada un si grand pays. Je ne suis pas arrogante face aux défis actuels. Je les vois bien, mais l’avenir est définitivement optimiste. C’est plus positif que désastreux. Et cela me donne beaucoup d’espoir et de confiance.