Ce qui suit est une republication d’un article qui fait partie de notre magazine: Le Canada au-delà de la COVID. Pour lire l’article dans son contexte original, cliquez ici.
« C’est comme si votre vie avait été mise sur pause. »
Pour plusieurs d’entre nous, la pandémie a été un étrange intermède. Nous sommes en stase, nous attendons que la pandémie se résorbe afin que nous puissions reprendre le meilleur de nos vies. Or, pour plusieurs des communautés trans, bispirituelles et non binaires, cette attente a deux volets : la pandémie représente aussi un obstacle à de nombreux soins de santé vitaux qui leurs sont essentiels pour vivre leur vrai soi.
« C’est de l’attentisme, on attend quelque chose tellement important pour être soi-même et vivre sa vie comme tout le monde », souligne Alex Vincent, infirmier autorisé et responsable du programme de santé trans au Centre de santé communautaire Centre-Ville à Ottawa.
Lorsque la COVID-19 a frappé, la clinique de Vincent s’est rapidement convertie en services virtuels afin d’offrir le même accès aux soins aux patients. Toutefois, les salles d’opération et autres services sont devenus plus difficiles d’accès. Les chirurgies etles traitements d’affirmation de genre ont été annulés ou reportés. Les listes pour l’hormonothérapie se sont rallongées; à Ottawa, le délai d’attente
est actuellement de neuf mois. L’accès aux traite-ments d’électrolyse pour éliminer les poils du visage a aussi été très limité en raison des restrictions actuelles et des exigences liées au port du masque.
Parce que le système de soins de santé du Canada était déjà engorgé avant la pandémie, les hôpitaux ont décidé de reporter les chirurgies non urgentes afin d’augmenter la capacité. Toutefois, qualifier de « non urgentes » les chirurgies d’affirmation de genre minimise leur importance. Pour les personnes trans, bispirituelles et non binaires qui ont besoin de ces interventions dans le cadre de leur transition, ces chirurgies sauvent des vies.
« Devoir vivre avec des parties du corps tellement incongrues par rapport à la façon dont vous percevez votre corps est très, très difficile », précise Vincent. Vivre avec la dysphorie de genre, explique-t-il, signifie vivre dans l’inconfort, la détresse psychologique et… malheureux.
L’importance de la transition de genre, qui peut comprendre l’hormonothérapie et la chirurgie, est confirmée par des études universitaires. En 2017, le Centre for the Study of Inequality de l’Université Cornell a examiné 55 études menées dans le monde entier pour évaluer l’effet de la transition de genre chez les personnes trans. Parmi ces études, 93 pour cent concluent que « la transition de genre améliore le bien-être général des personnes trans. »
Selon l’étude de Cornell, les résultats positifs de la transition de genre comprennent « une meilleure qualité de vie, des relations interpersonnelles plus satisfaisantes, une plus grande estime de soi et confiance en soi, et une diminution de l’anxiété, de la dépression, des idées suicidaires et de l’abus d’alcool ou autres substances. »
Cela souligne jusqu’à quel point il est vital pour les personnes trans, bispirituelles et non binaires d’avoir accès à des soins de qualité dans des milieux où elles peuvent se sentir écoutées, appuyées et validées. Or, de tels soins de qualité sont rares dans un système de soins de santé où, souvent, le personnel en sait très peu sur la communauté, et où la conception binaire du genre semble omniprésente dans tous les volets des soins.
Vincent a vécu ce type d’expérience lors de sa transition, et c’est ce qui l’a motivé à devenir infirmier autorisé.
« J’ai eu beaucoup de difficultés lors de ma transition », raconte Vincent. À cette époque, les services étaient limités, et peu de chirurgies étaient couvertes par le régime de soins de santé de sa province. Pendant sa transition, il n’a pas rencontré une seule personne trans travaillant dans le secteur de la santé.
« [Cette expérience] a vraiment orienté ma pratique infirmière. »
Vincent a commencé son travail de défense des droits des patients trans, bispirituels et non binaires dès son entrée à l’école des sciences infirmières. Il a mené des études dans ce domaine dans le cadre de son baccalauréat et a soulevé les enjeux trans en classe.
« [À l’école des sciences infirmières], il n’y avait pas de cours portant sur cela… ou très peu », se souvient Vincent. « Il était important pour moi de soulever ces questions à la table afin que mes collègues de classe soient conscients de l’existence des personnes trans et de l’existence des personnes non binaires. »
Or, ce n’est pas seulement une question d’éducation. Vincent ajoute que les soins de santé sont souvent structurés autour de la classification binaire masculin/féminin qui n’est pas favorable à la prestation de soins axés sur l’affirmation de genre, l’humilité et le respect devant la culture de l’autre personne. Une chose aussi simple que le système établi pour consigner des notes au dossier peut effacer l’identité d’une personne trans ou non binaire.
« Tout est structuré pour être homme ou femme, et c’est tout – absolument tout! »
« Analyse sanguine : il y a seulement deux cases. Unités dans les hôpitaux – lits : il y a seulement deux options. Il n’y a pas d’autres options. Le système de soins de santé n’est simplement pas conçu de façon facilement accessible aux personnes trans et non binaires. »
Ayant navigué au sein du système de soins de santé en qualité de personne trans et de travailleur de la santé, Vincent dit comprendre pourquoi le système lui-même est en partie responsable des expériences négatives vécues par les patients diversifiés sur le plan du genre.
« Je me souviens d’une situation. Je passais un test à l’hôpital. C’était un test pour une partie du corps qu’une personne qui a un ‘M’ sur sa carte Santé ou d’assurance-maladie n’a généralement pas. Ils ne savaient pas quel code utiliser pour le laboratoire parce que ce n’était pas parmi les options. »
« C’est seulement une de ces choses qui n’ont aucun sens, est-ce vraiment si important que ça? C’est un test pour cette partie du corps. Pourquoi en faire toute une histoire? »
C’est seulement un exemple de l’omniprésence des marqueurs de genre dans l’ensemble du secteur de la santé. Comme le souligne Vincent, un marqueur de genre ne raconte pas toute l’histoire et peut souvent induire de mauvaises conclusions au sujet de l’anatomie des gens.
Les systèmes établis pour consigner des notes au dossier sont aussi problématiques. Par exemple, la plupart n’ont pas un espace pour inscrire le nom choisi par la personne trans (qui pourrait ne pas être le même que le nom légal sur la carte Santé ou d’assurance-maladie) ou leur pronom de préférence.
Lorsqu’elles trouvent des soins d’affirmation de genre, et du soutien, les personnes trans ont encore un autre obstacle à franchir : les lacunes dans la couverture du régime d’assurance provincial ou territorial. Ainsi, les patients doivent payer de leur poche pour des interventions médicales cruciales.
Bien que la plupart des provinces couvrent le coût de certaines chirurgies d’affirmation de genre, d’autres chirurgies ne sont pas couvertes car elles sont considérées cosmétiques. Et, en raison du manque d’accès, les personnes trans, bispirituelles et non binaires doivent souvent se rendre dans une autre province pour obtenir la chirurgie, ce qui ajoute au coût.
Récemment, le gouvernement du Yukon a fait les manchettes lorsqu’il a élargi significativement sa couverture. Selon les experts, ce territoire a maintenant la politique la plus complète au Canada en matière d’affirmation de genre. Soulignons que la chirurgie de féminisation faciale et la chirurgie de remodelage du corps sont parmi celles couvertes par le gouvernement de ce territoire.
Probablement le plus important, la politique du Yukon reconnaît clairement que « les interventions médicales d’affirmation de genre ne sont pas cosmétiques et sauvent des vies chez les personnes transgenres. » Le gouvernement souligne aussi que « retarder ou refuser l’accès à des soins de santé liés à la transition peut causer d’importants préjudices. »
Bien que de telles victoires politiques demandent du temps, Vincent précise qu’il y a quelque chose que le personnel infirmier peut faire dès maintenant pour avoir un impact positif : porter attention au langage qu’ils utilisent avec leurs patients.
« Souvent, le problème vient du fait que les personnes qui ne sont pas cisgenres et hétérosexuelles sont omises de la question avant que le patient ait même la chance de répondre », explique Vincent.
Une question genrée que l’on trouve communément sur les formulaires d’accueil est la suivante : « Si vous êtes une femme, est-il possible que vous soyez enceinte? » Cette question omet les hommes trans et les personnes non binaires. Une façon non genrée de poser la même question pourrait être :
« Si vous avez un utérus, est-il possible que vous soyez enceinte? »
« Posez les questions de façon ouverte », conseille Vincent. « Avez-vous un ou une partenaire? Comment s’appelle-t-il ou s’appelle-t-elle? Quel est son genre? »
« Il suffit de reformuler quelques mots dans la question, et le champ est élargi. »
Le langage inclusif n’est pas seulement une question de politesse; c’est pour assurer la sécurité et le confort de tous les patients qui viennent chercher des soins. Lorsque les fournisseurs de soins de santé créent des espaces sûrs, cela permet aux patients d’être plus ouverts et d’obtenir de meilleurs soins.
En qualité d’alliés, les infirmières et les infirmiers devraient aussi être des défenseurs de leurs patients trans à l’extérieur de la salle d’examen, précise Vincent. Par exemple, le personnel infirmier devrait insister pour que le nom choisi par le patient, et ses pronoms de préférence, soient utilisés même lorsque le patient n’est plus dans la pièce.
« Vous devez avoir le même respect lorsque le client n’est pas présent que lorsque vous êtes devant le client. »
Il faut aussi savoir quelles questions on peut poser. Si un patient vient pour un traitement pour un problème non lié à ses organes génitaux, vous n’avez probablement pas besoin de demander quel est son genre, souligne Vincent.
« Si la personne est là en raison d’une fracture au bras, et que cette personne est trans, sa transition n’a rien à voir avec cette fracture. »
Les infirmières et les infirmiers devraient avoir des connaissances de base des enjeux trans, ajoute Vincent. De façon individuelle, les infirmières et les infirmiers devraient s’informer et apprendre comment être de meilleurs alliés pour cette communauté. Ils devraient aussi presser les écoles de sciences infirmières à ajouter ces enjeux dans leurs programmes et dans les examens pour l’obtention du permis.
« Nous parlons de petits changements qui peuvent faire un monde de différence pour tant de personnes. »
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Alex Vincent, IA, a complété un baccalauréat en sciences infirmières à l’Université Trent en 2020. Il travaille actuellement comme infirmier à la clinique de santé trans du Centre de santé communautaire du Centre-Ville à Ottawa. Il est aussi responsable du programme de santé trans à ce centre. Vincent est passionné des soins de santé trans et s’inspire de son expérience personnelle et professionnelle pour le guider dans son travail.