Par Courtney Howard et Linda Silas
Les discussions et les plans d’action ciblant le changement climatique sont rarement basés sur les effets dévastateurs sur la santé occasionnés par une planète qui se réchauffe rapidement. Mais, si nous voulons vraiment bâtir une société résiliente et bien préparée pour relever les défis en matière de santé publique, nous devons mettre en pratique, lors de la prochaine gestion d’une urgence sanitaire, les leçons durement tirées des urgences sanitaires antérieures.
La COVID-19 nous a appris l’importance de prendre au sérieux les courbes exponentielles, et d’écouter la science. Elle nous a aussi appris que, sous pression, nous devons accorder priorité à la santé. Lors du Jour de la Terre, en cette deuxième année de la pandémie, les organisations de santé du pays, y compris L’Association canadienne des médecins pour l’environnement, la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers, le Collège des médecins de famille du Canada, la Arctic Indigenous Wellness Foundation et la Fédération des étudiants et étudiantes en médecine du Canada, ont signé une lettre ouverte adressée au premier ministre Justin Trudeau pour lui demander d’employer les grands moyens et d’agir pour le climat.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, le changement climatique constitue la plus grande menace pour la santé dans le monde au XXIe siècle. Les professionnels de la santé sont de plus en plus conscients de la menace posée par le changement climatique à la santé publique en ce pays et à l’étranger, y compris les décès occasionnés par les vagues de chaleur plus fréquentes et plus intenses, les déplacements de population en raison de feux incontrôlés et d’inondations, les allergies aggravées par des saisons de pollen plus longues, l’accélération de la propagation de la maladie de Lyme et autres maladies à transmission vectorielle, et l’augmentation des maladies respiratoires en raison de l’ozone et de la pollution de l’air en basse atmosphère.
Tout comme pour la COVID-19, le Canada subit déjà l’impact de la menace mondiale engendrée par le changement climatique. Selon un rapport de 2019 de Environnement et changement climatique Canada, le taux de réchauffement au Canada est le double du taux mondial. Et, à mesure que la planète continue de se réchauffer et que de plus en plus d’espèces se rencontrent pour la première fois en raison de migrations pour échapper à la chaleur, nous allons observer une augmentation croissante des risques de pandémies futures.
Le président américain Joe Biden invite les leaders mondiaux au Sommet des dirigeants sur le climat qui se tiendra les 22 et 23 avril, dans le cadre du Jour de la Terre, dans le but de mobiliser les ressources pour arriver à la neutralité carbone d’ici 2050, tel que prévu dans l’Accord de Paris. Le fait que le Canada y participe offre à nos leaders politiques l’occasion de prendre des engagements fermes en fonction de l’Accord de Paris, des engagements fondés sur les défis en matière de santé publique et motivés par les avantages accrus qui en résulteront.
Il y a énormément d’occasions d’améliorer la santé. En éliminant notre dépendance aux combustibles fossiles, nous pouvons limiter le nombre ahurissant de décès prématurés chaque année en raison de la pollution de l’air, nombre estimé par Santé Canada à 15 300 personnes en 2016 et dont le coût économique se chiffre à 114 milliards de dollars. Des diètes plus saines et viables peuvent nous aider à diminuer l’empreinte carbone et la déforestation associées à l’agriculture animale, et cela aide à prévenir les pandémies futures en diminuant les changements dans l’utilisation des terres et le potentiel de transfert zoonotique de nouveaux virus. Des investissements dans les infrastructures de pistes cyclables et pédestres permettront de diminuer le taux de mortalité, d’améliorer l’humeur grâce à un plus grand nombre d’activités physiques, d’interactions communautaires et d’air pur.
Un engagement pour la santé en vertu de l’Accord de Paris est un engagement à protéger la santé des enfants d’aujourd’hui. Cet engagement doit représenter la part équitable du Canada par rapport aux engagements mondiaux visant à maintenir la planète bien en-deçà de 2 degrés Celsius de réchauffement et, doit permettre d’y arriver, le plus possible, grâce à des mesures qui améliorent immédiatement la santé, le mieux-être et les systèmes de soins de santé.
Mais nous devons assumer notre propre responsabilité. Les émissions de gaz à effet de serre au Canada, ont très peu changé entre 2000 et 2019 comparativement au Royaume-Uni où elles ont diminué de 35 pour cent. Le projet de loi C-12 est un bon point de départ d’une version “faite au Canada” de la loi du Royaume-Uni Climate Change Act. Cette loi a permis à cette nation d’atteindre ses objectifs inspirants. Toutefois, il faut renforcer le projet de loi C-12 et y ajouter, dans le cadre du budget carbone, des cibles quinquennales commençant en 2025. Ces cibles seront supervisées par un organisme indépendant composé d’experts scientifiques se rapportant au Parlement, et son mandat sera de vérifier si les politiques s’harmonisent aux engagements relatifs au climat.
L’équité doit être une priorité pendant que nous tentons de réduire significativement nos émissions. Avec les engagements de faire notre part équitable globalement, le Parlement doit adopter le Projet de loi C-230, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale visant à remédier au racisme environnemental. La justice climatique exige de s’attaquer aux impacts toxiques disproportionnés et continus de l’extraction des ressources sur les Autochtones et les personnes racialisées du Canada.
Et, pour ne pas oublier qui que ce soit, nous pouvons aider les travailleurs de l’industrie des combustibles fossiles, et leurs collectivités, à faire une transition équitable en redirigeant les fonds — par exemple les 21,25 milliards $, ou les 565,30 par habitant, versés en subventions à la production d’énergie par combustibles fossiles depuis le début de la pandémie — et, ainsi, faciliter la formation professionnelle et augmenter les investissements dans les infrastructures dont ces travailleurs et leurs collectivités ont besoin pour bâtir une nouvelle économie à énergie non polluante.
Comme nous l’avons vu avec la COVID-19, la nature n’accepte pas les demi-mesures. L’action engendre plus de satisfaction que l’anxiété. Le temps est venu de cesser de s’inquiéter des impacts du changement climatique sur la santé et de commencer à créer un avenir sain pour nous et nos collectivités.
La Dre Courtney Howard est urgentologue à Yellowknife, professeure adjoint en soins cliniques à l’Université de Calgary, chercheuse en santé planétaire (volet communautaire) attachée à la Dahdaleh Institute for Global Health Research, et ancienne présidente de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement.
Linda Silas est présidente de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers depuis 2003, une force de 200 000 membres.