Par Beatrice Bruske, Doug Roth et Linda Silas
Le 11 août, le gouvernement fédéral et l’Île-du-Prince-Édouard ont signé un accord visant à améliorer la liste des médicaments assujettis aux régimes publics de cette province et à « accélérer la mise en œuvre de l’assurance-médicaments ». La population de la province en bénéficiera indéniablement. Mais nous devons nous assurer que le résultat final soit bel et bien un régime universel d’assurance-médicaments. Cela permettrait à la population canadienne de se procurer ses médicaments sur ordonnance à l’aide de sa carte santé comme elle l’utilise à l’hôpital ou chez le médecin. C’est judicieux si nous voulons prospérer au cours de la relance après la pandémie.
Actuellement, le Canada est le seul pays dont le système de santé universel ne couvre pas les médicaments à l’extérieur de l’hôpital. Cette lacune flagrante a été qualifiée de chaînon manquant de l’assurance-maladie.
La situation est le fruit de l’histoire. Vers le début des années 1960, quand l’avenir du système de santé du Canada a été tracé, la profession médicale n’accordait que relativement peu d’importance aux médicaments. Les médecins et les hôpitaux étaient les vedettes du système et, bien sûr, les ressources étaient restreintes.
Il est temps de rectifier la situation.
En fait, il est plus que temps. Et l’occasion nous en est donnée maintenant.
La valeur et l’importance des médicaments dans notre système de santé ont augmenté énormément depuis 60 ans, non seulement pour traiter les maladies mais aussi pour les prévenir. Dans le seul domaine cardiovasculaire, leur rôle a été transformateur. Ils servent à gérer la haute tension artérielle – important facteur de risque des maladies du cœur et principal facteur de risque de l’AVC – les taux de cholestérol élevés et d’autres problèmes. En 2019, les pharmacies canadiennes ont exécuté environ 101 millions de prescriptions visant des médicaments pour ces troubles seulement.
L’importance cruciale des médicaments dans la prévention et le traitement s’applique à presque tous les autres domaines de la médecine, comme par exemple les infections, le diabète et la santé mentale. Un sondage réalisé par l’Association canadienne des individus retraités (ACIR) auprès de ses membres a révélé qu’ils prennent en moyenne quatre médicaments chacun, certains en prenant plus de dix.
Bien que toute personne vivant au Canada puisse accéder aux soins d’un hôpital ou d’un médecin sans s’inquiéter de la façon dont elle paiera les frais, nous devons tous payer nos propres médicaments. Or, des millions de Canadiennes et Canadiens ont une assurance insuffisante ou n’en ont pas du tout. Si de nombreuses personnes travaillant à plein temps ont accès à des assurances privées et que toutes les personnes de plus de 65 ans ont accès à une assurance-médicaments publique, presque tous les régimes exigent que la patiente ou le patient paie une part des frais de sa poche.
Cela impose à de nombreux Canadiens et Canadiennes un fardeau tel qu’ils s’abstiennent de prendre les médicaments dont ils ont besoin. Un sondage mené par l’Institut Angus Reid en octobre dernier révèle qu’un ménage canadien sur quatre a de la difficulté financière à faire exécuter ses prescriptions. Le problème est plus marqué chez les femmes et les personnes racialisées, autochtones et jeunes.
Bien entendu, le fait de ne pas prendre les médicaments dont ils ont besoin nuit à la santé des gens, haussant les frais subséquents pour notre système de santé. On n’économise rien à obliger les gens à payer leurs médicaments et, par conséquent, à obliger certains à s’en passer. L’établissement d’une assurance-médicaments universelle est judicieux du point de vue tant des entreprises que de l’économie car il est prévu qu’il permettrait au Canada d’économiser environ 5 milliards de dollars par année en comparaison de notre système morcelé et incomplet actuel.
Nous avons une occasion exceptionnelle de rectifier la situation et de « compléter » l’assurance-maladie canadienne. Le gouvernement fédéral s’est engagé à instaurer un régime national d’assurance-médicaments et il a engagé le processus en créant une Agence canadienne des médicaments chargée de déterminer le fonctionnement du régime, mais il n’a pas fixé de délai ferme dans lequel cela doit se produire. Dernièrement, un Groupe consultatif pancanadien a été créé pour éclairer l’établissement d’une liste nationale des médicaments assurés. Nous devons continuer à progresser rapidement dans la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments.
Il est très important de noter que c’est là la volonté de la population canadienne. Selon le sondage susmentionné de l’Institut Angus Reid, près de 9 Canadiennes et Canadiens sur 10 (86 %) sont favorables à l’idée. Vu l’ampleur et la diversité du Canada, c’est le plus près qu’on puisse approcher de l’unanimité sur une importante question de politiques publiques.
La prestation des soins de santé relève, bien sûr, de la compétence provinciale. Toutefois, le gouvernement fédéral a innové ces dernières années dans les moyens d’inciter les provinces à mettre en œuvre des politiques qu’il juge d’importance nationale. Il a accordé un financement spécial à la santé mentale et aux soins à domicile il y a quelques années et il est en train de conclure des accords avec les provinces pour que soient réalisés des programmes de garde d’enfants à plus bas coût. Il peut et il doit en faire autant pour l’assurance-médicaments.
Vu la pandémie de COVID-19 en cours, l’accès à des soins de santé optimaux est plus important que jamais pour la population canadienne, et les soins ne sauraient être optimaux si l’accès aux médicaments ne l’est pas. Chaque parti politique devrait s’engager dans son programme électoral à enfin livrer à la population canadienne un régime national d’assurance-médicaments.
Beatrice Bruske est la présidente du Congrès du travail du Canada. Doug Roth est le chef de la direction de Cœur + AVC et Linda Silas est la présidente de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et d’infirmiers.