Ce qui suit est une republication d’un article qui fait partie de notre magazine: Le Canada au-delà de la COVID. Pour lire l’article dans son contexte original, cliquez ici.
Avant que la COVID-19 ne paralyse la nation, le régime national d’assurance-médicaments semblait à portée de main. En juin 2019, un conseil consultatif recommande l’adoption d’un régime public et universel d’assurance-médicaments à payeur unique. C’était la cinquième fois qu’une commission nationale arrivait à la conclusion que les médicaments sur ordonnance devraient faire partie de notre régime universel d’assurance-maladie.
Quelques mois plus tard, un sondage Angus Reid révèle que neuf personnes sur dix au Canada appuient aussi l’idée, y compris 76 pour cent des partisans du Parti conservateur. Nous avons vu cela à répétition : les personnes du Canada, de tous les partis politiques, sont unies pour appuyer un régime national et universel d’assurance-médicaments.
Or, est-ce que la pandémie actuelle a fait avorter la lutte qui dure depuis des décennies pour obtenir ce régime national?
« Il ne fait aucun doute que la COVID a changé la dynamique », souligne Steve Morgan, professeur en politiques de santé à l’Université de la Colombie-Britannique, et chef de file de la lutte pour le régime national d’assurance-médicaments. « Certains progrès qui auraient pu être faits s’il n’y avait pas eu la pandémie sont maintenant au point mort. »
Dans un contexte de pandémie mondiale, il est certain que la voie vers le régime national d’assurance-médicaments est un peu plus semée d’obstacles. L’expansion de notre système publicest souvent en concurrence avec la crise du financement du secteur de la santé.
Or, Morgan affirme que les arguments en faveur du régime national n’ont jamais été aussi clairs.
« La COVID a eu de très sérieuses répercussions économiques sur la population canadienne : des millions de personnes ont perdu leur emploi. Selon nos estimations, environ un million de familles canadiennes ont perdu leur assurance santé au cours de la dernière année, parce que les avantages sociaux liés à l’emploi ont disparu avec les changements de carrière imposés par la COVID-19. »
« Cela augmente le besoin d’avoir un filet de sécurité assurant la couverture des médicaments dont chaque personne a besoin. »
Morgan demeure optimiste. Comme il le souligne, le gouvernement libéral actuel a promis le régime national d’assurance-médicaments maintes et maintes fois : dans sa plateforme électorale, dans deux discours du Trône, et dans des lettres de mandat adressées au ministre des Finances et de la Santé. Malgré ces engagements, les personnes qui ont le régime national à cœur ne doivent pas se contenter de ces promesses ni baisser les bras.
On ne sait pas encore clairement quelle forme prendra un programme national d’assurance-médicaments sous ce gouvernement, comment il sera mis en œuvre et selon quel échéancier.
« Il est vraiment important de maintenir la pression », souligne Morgan. « Les gouvernements peuvent décider : « Oui, nous avons promis de faire quelque chose, mais maintenant nous pensons que personne ne s’en soucie, ou nous pensons maintenant que les personnes du Canada ont d’autres priorités. »
Il va sans dire qu’un régime national d’assurance-médicaments serait grandement avantageux pour la population canadienne.
Près de 25 pour cent des ménages canadiens comprend une personne qui ne peut pas prendre ses médicaments tels que prescrits en raison du coût; les frais à payer demeurent élevés pour plusieurs personnes. Dans le cadre d’un régime national, le Canada aurait le pouvoir de faire baisser les prix notoirement élevés des médicaments au Canada, car un système à payeur unique donnerait au gouvernement un plus grand pouvoir de négociation avec les compagnies pharmaceutique, et le pouvoir d’achat serait concentré en une seule main.
Toutefois, des prix moins élevés des médicaments ne sont qu’une partie de l’équation. Selon une estimation conservatrice faite par le Bureau du directeur parlementaire du budget, le Canada pourrait économiser 4,2 milliards $ par année; selon d’autres études, ces économies pourraient atteindre 11 milliards $ par année.
Alors, pourquoi n’y a-t-il pas davantage de volonté politique à concrétiser cela? Pourquoi ce programme permettant d’économiser et d’améliorer la santé des personnes au Canada ne reçoit-il par l’appui de tous les partis?
« C’est pourtant simple à comprendre », affirme Morgan. « N’importe qui voulant une politique rationnelle dans l’espace de la santé l’aurait fait il y a plusieurs années. »
« Lorsque le ministère des Finances dit que nous pourrions économiser 4 à 5 milliards $ par année, quelqu’un d’autre entend qu’il va perdre 4 à 5 milliards $ de revenus par année et, dans ce cas-ci, ce sont les compagnies pharmaceutiques multinationales qui sont extrêmement puissantes sur la scène mondiale, à Ottawa et dans les provinces. »
Dans la foulée du budget fédéral 2018, on a créé le Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments. Les compagnies pharmaceutiques et les compagnies d’assurances ont alors déclenché une frénésie d’activités de lobbying à Ottawa. Ces industries (et une poignée de milliardaires) sont les seuls joueurs qui risquent de perdre quelque chose si le régime national est mis en place.
La mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments se complique davantage en raison de la danse subtile entre Ottawa et les provinces. Selon Morgan, si le gouvernement fédéral agit, et lorsqu’il agira, il faudra tout de suite mettre l’accent sur le blocage qu’exerceront les premiers ministres conservateurs des provinces.
« La pression sur les provinces sera très importante », souligne-t-il. « Il est crucial pour les professionnels de la santé, le mouvement syndical, les experts universitaires et les simples citoyens de rappeler à leurs députés et politiciens provinciaux que cela demeure une priorité en matière de politique. »
Morgan souligne que la voix des infirmières et des infirmiers est particulièrement puissante car ils peuvent parler des impacts directs sur leurs patients. Le personnel infirmier est témoin de ce qui arrive lorsque les patients souffrant de maladies chroniques ne peuvent payer leurs médicaments.
« Les infirmières et les infirmiers sont des voix exceptionnelles au sein du système de soins de santé, et le régime national est d’abord et avant tout un enjeu de santé. »
Morgan compte sur ces voix pour propulser le projet jusqu’à la ligne d’arrivée. Après plus de deux décennies de lutte pour le régime national, il croit qu’un changement réel est à notre portée.
« Nous ne pouvons pas baisser les bras. Nous devons considérer cette dernière étape de mise en œuvre du régime comme la plus importante et redoubler nos efforts. »
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Steve Morgan, Ph. D., est professeur en politiques de santé à l’Université de la Colombie-Britannique. Économiste de formation, les études de Morgan mettent l’accent sur les politiques nécessaires pour offrir un accès universel aux médicaments sur ordonnance à coût abordable. Il a publié plus de 150 articles de recherche révisés par les pairs, a reçu plus de 4 millions de dollars en subventions pour des projets de recherche révisés par les pairs, et il agit comme conseiller en matière de politiques auprès des gouvernements du Canada et ailleurs dans le monde. Morgan a reçu de nombreux prix pour son travail et, en 2019, il se mérite le Prix Emmett Hall pour sa longue contribution à l’équité, la justice et l’efficacité du système de soins de santé.