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Les services universels de garde d’enfant sont le « pont » pour ramener les femmes au sein de la main-d’œuvre après la COVID

Ce qui suit est une republication d’un article qui fait partie de notre magazine: Le Canada au-delà de la COVID. Pour lire l’article dans son contexte original, cliquez ici.

Au cœur du budget fédéral 2021 se trouve la promesse de 30 milliards de dollars pour créer un programme pancanadien de garde d’enfant. Le choix du moment n’est pas une coïncidence. Nous avons désespérément besoin d’un programme universel pour ramener les parents, particulièrement les femmes, au sein de la main-d’œuvre rémunérée, et s’assurer que les décennies de progrès réalisés sur l’équité de genre ne soient pas effacées par la pandémie.

« En raison de la pandémie, le gouvernement fédéral s’est rendu compte qu’il s’agissait d’un volet des politiques économiques et sociales ayant besoin d’attention immédiate », souligne Morna Ballantyne, directrice générale d’Un Enfant Une Place. Un facteur clé pour assurer la reprise économique, ajoute-t-elle, est l’élimination des obstacles qui obligent les femmes à quitter la main-d’œuvre rémunérée.

Selon une étude récente menée par la Banque royale du Canada, près d’un million de femmes ayant perdu leur emploi au début de la pandémie n’étaient toujours pas retournées au travail en date de janvier 2021. Les femmes racialisées et les nouvelles arrivantes ont été les plus frappées. Les données démontrent aussi un plus grand nombre d’emplois perdus chez les mères que chez les femmes sans enfants.

Ballantyne explique que plusieurs centres de la petite enfance ont dû fermer lorsque la COVID-19 a frappé pour la première fois. Sans financement public suffisant pour ouvrir de façon sécuritaire, plusieurs centres ont été forcés de mettre fin aux inscriptions. Comme la majeure partie de leur financement vient des frais payés par les parents, un moins grand nombre d’enfants signifie moins de revenu d’exploitation, et par conséquent, plusieurs centres de la petite enfance ont rapidement connu des difficultés financières.

Une perte de places autorisées aurait un impact dévastateur sur le Canada. Même avant la pandémie, un nombre considérable de parents avaient de la difficulté à trouver des services de garde de qualité.

« La pandémie a révélé jusqu’à quel point le système était fragile, mais aussi jusqu’à quel point les services de garde étaient essentiels », précise Ballantyne. « Tellement essentiels que les gouvernements de presque toutes les provinces ont pris des mesures de rouvrir les garderies pour les travailleurs essentiels, y compris les travailleurs de la santé et le personnel infirmier de première ligne. »

« Il était clair que, sans services de garde, les parents, particulièrement les mères, ne seraient plus capables de travailler. »

Les provinces de l’Atlantique ont réagi et fourni une aide financière directe aux centres de la petite enfance pendant la pandémie. Le Québec aussi, considéré depuis longtemps comme modèle pour son programme pancanadien de garderies, s’en est mieux sorti étant donné qu’il fournissait déjà un financement direct.

Toutefois, fait remarquer Ballantyne, le Québec a, en fait, deux systèmes : un qui finance directement les centres autorisés de la petite enfance et les garderies en milieu familial, auxquels les parents ont accès à un taux subventionné de 8,50 $ par jour; et un autre qui offre des crédits d’impôt aux parents qui placent leurs enfants dans les centres privés non subventionnés et les garderies privées non subventionnées, et dont le coût s’harmonise à celui ailleurs au Canada.

Le deuxième système, selon Ballantyne, est une façon incroyablement inefficace de financer les services de garde.

« Cela n’aide pas, bien sûr, à assurer des frais peu élevés. La qualité des soins dans ce secteur [n’est pas] aussi élevée que celle du même secteur qui reçoit un financement direct. »

« Donc, la grosse leçon venant du Québec, et une grosse leçon pour le gouvernement fédéral, c’est que les gouvernements doivent réagir et financer directement les services [de garde] comme ils le font pour les services hospitaliers et l’enseignement public. »

Selon une étude menée par Pierre Fortin, professeur d’économie à l’Université du Québec à Montréal, le pourcentage de femmes ayant des enfants d’âge préscolaire et ayant participé au sein de la main-d’œuvre rémunérée a augmenté de 16 pour cent dans la décennie qui a suivi la mise en œuvre, au Québec, d’un programme de garderie à coût peu élevé.

Selon l’étude de Fortin, le programme de garderie du Québec s’autofinance. Cela s’explique en partie par le fait qu’un plus grand nombre de travailleurs au sein de la main-d’œuvre rémunérée signifie plus de revenus fiscaux pour la province. Se basant sur les données pour 2018, Fortin estime que le programme a généré 919 millions $ supplémentaires en recettes fiscales.

« Les services de garde servent de pont vers la main-d’œuvre rémunérée, particulièrement pour les femmes, particulièrement celles qui ont de jeunes enfants », souligne Ballantyne. « Si ce pont est absent, elles ne peuvent pas contribuer à la croissance économique, et ce calcul a été fait à travers l’histoire. »

Ce pont est aussi crucial pour assurer l’autonomie financière des femmes car le coût élevé des services de garde peut laisser plusieurs femmes dépendantes économiquement des autres, par exemple de leurs parents, du conjoint, voire même d’autres programmes gouvernementaux.

De nos jours, la plupart des gens comprennent les avantages économiques des services de garde, affirme Ballantyne. Mais, pendant que nous nous dirigeons vers un programme pancanadien de garde d’enfant, nous devons nous assurer que l’argument économique n’est pas la seule force motrice.

« Vous avez besoin de bons services de garde d’abord et avant tout pour les enfants, parce que les enfants ont besoin d’endroits où ils seront en sécurité et d’endroits équipés pour leur assurer un développement sain. »

Ballantyne souligne aussi l’importance de mettre l’accent sur l’accès équitable. Il peut s’avérer extrêmement difficile de naviguer dans le système actuel. Pour les parents, essayer de déterminer quelles sont les subventions auxquelles ils sont admissibles est une tâche énorme. Cet effort demande beaucoup de temps, ce que plusieurs parents n’ont pas en abondance. Les travailleuses à faible revenu, souvent les personnes racialisées, les nouvelles immigrantes et les personnes autochtones, peuvent être tenues à l’écart du système non seulement en raison du coût exorbitant mais aussi de la complexité de la mosaïque actuelle de services de garde.

Selon Ballantyne, un programme universel de garde d’enfant irait loin pour diminuer ces inégalités.

« Les populations vulnérables – celles qui ont été désavantagées économiquement et socialement pour de nombreuses raisons – bénéficient davantage des programmes et des systèmes universels qu’elles bénéficient des services conçus juste pour elles. »

« Nous avons un dicton : les programmes pour les pauvres font de pauvres programmes. Voilà pourquoi nous insistons pour que [les services de garde] soient universels. Il ne faut pas voir la garde d’enfant comme un programme d’assistance sociale [qui pourrait] engendrer la ségrégation fondée sur la race et la situation économique. »

Selon Ballantyne, les services de garde au Canada peuvent seulement accueillir 30 pour cent des enfants de cinq ans et moins.

Il va falloir beaucoup de temps, et des investissements substantiels, pour bâtir le système dont le Canada a besoin. Elle espère voir le financement nécessaire pour un programme universel de grande qualité, un qui est vraiment inclusif, qui a les espaces adéquats, et un personnel qualifié et bien rémunéré.

« Il ne suffit pas de bâtir un système. Le système doit être conçu de façon à ce que l’équité demeure un objectif prioritaire. »

Morna Ballantyne est directrice générale d’Un Enfant Une Place, organisation nationale pour la promotion des services de garde au Canada. Défenseure acharnée des services de garde autorisés et abordables pendant plus de 30 ans, elle continue de collaborer avec tous les ordres de gouvernement pour élaborer un programme de services de garde, géré et financé par l’État, et dont pourront bénéficier les enfants, les parents, et ceux et celles travaillant dans ce domaine, un programme qui contribuera à la sécurité et à la croissance économiques du Canada. Morna a fait partie du Groupe d’experts sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants, créé par le gouvernement fédéral, et elle a été choisie, récemment, pour faire partie du Groupe de travail sur les femmes dans l’économie, créé aussi par le gouvernement du Canada.