La page suivante en regard de l’éditorial a été publiée pour la première fois dans le Edmonton Journal du 2 novembre 2020.
Si le United Conservative Party (UCP, Parti conservateur uni) de l’Alberta voulait améliorer les soins de santé dans la province, il ne pouvait adopter une approche qui s’éloigne autant de la bonne direction.
Les délégués présents à la récente assemblée générale du UCP ont appuyé de justesse une proposition controversée, notamment celle « d’appuyer l’option d’un système de soins de santé financé et géré par le privé ». Des 793 délégués ayant participé au vote virtuel, 52,71 pour cent étaient en faveur de la résolution permettant aux personnes de l’Alberta de choisir entre des services publics et des services privés de soins de santé.
Selon la porte-parole du premier ministre Jason Kenney, cette résolution, ainsi que d’autres adoptées lors de cette assemblée, éclairera l’élaboration de la plateforme électorale de l’UCP pour 2023,
Cette résolution stratégique, présentée par l’association de circonscription Calgary-Varsity, soutient qu’un système de soins de santé à deux vitesses permettrait de régler l’escalade des coûts et les délais d’attente, ainsi que les problèmes liés aux salaires des médecins qui se sont révélés être la bête noire du gouvernement Kenney. Elle soutient aussi que les soins de santé privés offriront des options aux médecins et aux patients, diminueront les dépenses de santé et augmenteront l’accès.
La Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers, et autres défenseurs des soins de santé, pensent qu’offrir un meilleur accès à des services de grande qualité, réduire les délais d’attente et offrir une rémunération adéquate aux travailleurs de la santé sont tous des objectifs valables, mais nous rejetons catégoriquement l’idée qu’une plus grande privatisation soit la solution.
En fait, de nombreuses données à l’international jettent le discrédit sur l’approche du UCP. Les délais d’attente dans le système public n’ont pas diminué dans les pays autorisant le paiement privé des services de soins de santé, notamment aux États-Unis, en France, en Australie et en Irlande.
Ici au Canada, une augmentation de la privatisation a mené à la tragédie dans le secteur des soins de longue durée, particulièrement au Québec et en Ontario. Considérant que 77 pour cent des décès liés à la COVID-19 sont survenus dans les établissements de soins de longue durée, les gouvernements devraient repenser le rôle des soins privés à but lucratif pour les aînés du Canada.
Si la résolution du UCP devenait, éventuellement, une loi, cela signifierait davantage de choix pour certains médecins, ainsi que pour un petit nombre de personnes de l’Alberta qui ont les moyens de payer le coût élevé des soins privés. Or, la vaste majorité de la population albertaine se retrouverait avec des choix limités, et le système public de soins de santé se retrouverait avec moins de ressources et une capacité diminuée.
Avec un bassin limité de professionnels de la santé, les patients qui n’ont pas les ressources financières ou qui ne sont pas admissibles aux assurances privées, attendront probablement plus longtemps pour recevoir des soins et seront forcés de faire concurrence aux patients qui peuvent payer de leur poche.
Contrairement aux affirmations du UCP à l’effet que cela permettrait d’améliorer les soins de santé publics, la privatisation sans entrave éroderait, en fait, les soins de santé publics en puisant, à partir du système public, les médecins et les ressources tellement nécessaires. Par conséquent, l’accès diminuerait et les délais d’attente augmenteraient, et cela contribuerait au problème même que cette résolution prétend régler.
L’adoption de cette proposition par l’UCP représente l’apogée de plusieurs années d’efforts. Il est particulièrement intéressant de voir qu’elle arrive au moment de la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, relativement à l’affaire Cambie, une décision qui confirme les principales dispositions du Medicare Protection Act de la C.-B., et qui assurent un accès équitable aux soins pour tous les patients de cette province.
Bien que le premier ministre Kenney ait mentionné son appui aux soins de santé publics, son gouvernement a récemment annoncé son intention d’éliminer, et d’offrir en sous-traitance, jusqu’à 11 000 emplois dans le secteur de la santé. Cela signifie que la population albertaine peut s’attendre à d’autres importantes réductions qui auront un impact négatif car il sera de plus en plus difficile d’avoir accès à des soins grande qualité. La décision a été catégoriquement condamnée par les syndicats, y compris celui des United Nurses of Alberta.
Après des années de sous-investissement, la décision du gouvernement albertain d’éroder davantage la capacité du système public de soins de santé en éliminant des milliers d’emplois est non seulement mal avisée, elle tout simplement abusive, particulièrement au cœur d’une pandémie mondiale. Avec plus d’un (1) million de chômeurs au Canada en raison de la pandémie de COVID-19, et des millions de plus encore en train de se remettre de son impact énorme, ce n’est pas le temps de choisir l’austérité.
L’accès aux soins de santé pour tous au Canada – et non seulement pour ceux qui peuvent payer – sera une réalité grâce à de plus gros investissements et à une meilleure coordination du personnel et des services de santé, et non pas par des changements à la façon dont nous payons les soins.
La meilleure façon de réussir à empêcher l’envahissement de la privatisation c’est en assurant un financement stable et à long terme des soins de santé publics, et en s’attaquant de front aux longs délais d’attente. Nous demandons au gouvernement de l’Alberta d’agir immédiatement par rapport à ces enjeux cruciaux.
Linda Silas est infirmière immatriculée et, depuis 2003, est présidente de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers, une force de 200 000 membres.